131. Rroms de France, quelles résistances collectives?
- Author:
- Paul Le Bas
- Publication Date:
- 05-2014
- Content Type:
- Journal Article
- Journal:
- Cultures & Conflits
- Institution:
- Cultures & Conflits
- Abstract:
- Voilà des années qu'associations, organismes, commissions françaises et européennes tirent la sonnette d'alarme sur la discrimination institutionnelle et sociale touchant les Rroms de France . Ces organismes, rappelant les amalgames et stéréotypes tenaces dans l'opinion commune, qualifient de catastrophiques les mesures publiques visant les Rroms de France. En outre, ces dernières ne semblent dénoncées aujourd'hui que par un trop petit nombre de ceux qui les subissent ; la résignation de la plupart s'expliquant pour une large part par le rejet pluriséculaire auquel ils sont confrontés et par leurs liens parfois inexistants avec le reste de la société. Premier défi de taille pour les Rroms de France : réussir à parler d'eux-mêmes, ne serait-ce que pour faire comprendre qui ils sont et ce qu'ils vivent, sans que s'y substituent dès le départ des discours sur eux, énoncés par d'autres ; tenter de se dire publique-ment au delà des fantasmes, des idées reçues et des réactions de méfiance qui confinent à la xénophobie et à l'hostilité primaire et systématique contre un groupe social. Cette étude que nous entamons est elle-même directement confrontée à la question de savoir comment faire en sorte de relayer une parole sans se substituer à elle, sans s'exprimer au titre d'une autre parole surplombante, extérieure et désengagée. Il s'agit pourtant de tenter de comprendre l'enjeu que constitue pour les Rroms la dénonciation des mesures publiques qui renforcent leur marginalisation et le déni persistant de leur identité, provoquant ainsi leur disqualification sociale par le biais de politiques de régulation, de contrôle, d'assimilation et d'exclusion. Autant de processus de classification qui renvoient notamment aux travaux de Michel Foucault, un penseur auquel on est commodément tenté de faire appel lorsqu'il s'agit de révéler et comprendre des enjeux de pouvoir et de penser des possibilités de lutte contre les formes de soumission de la subjectivité. Encore faut-il que ce recours se justifie par des motifs plus valables que la simple mobilisation d'un nom et de citations saupoudrées ci et là. Depuis les années 1980, les critiques les plus sérieuses de l'entreprise philosophique de Foucault lui reprochent d'appeler à la résistance sans en fournir de véritables raisons et encore moins les ressources (entre autres normatives) indispensables à la dénonciation de ce à quoi il faudrait résister. « En quoi la lutte est préférable à la soumission ? Pourquoi faut-il résister à la domination ? » La charge est bien connue en philosophie morale et politique : Jürgen Habermas, reprenant lui-même ces interrogations formulées par Nancy Fraser, entend dénoncer l'irrationalité d'une pensée incapable de fournir critères ou normes d'orientation de notre action. La mobilisation d'une telle pensée dans la compréhension de la situation des Rroms de France serait à ce titre davantage justifiée moins par la garantie de sa pleine cohérence interne que par sa capacité à fonctionner comme pratique, comme aide effective au diagnostic d'un champ de stratégies, à la poursuite et à l'élaboration de résistances réelles et efficaces. Foucault met lui-même en garde en soulignant l'importance de définir ce qu'on entend par « luttes » : « Ce thème de la lutte ne devient opératoire que si on établit concrètement, et à propos de chaque cas, qui est en lutte, à propos de quoi, comment se déroule la lutte, en quel lieu, avec quels instruments et selon quelle rationalité ». Il nous semble donc important de connaître et de comprendre d'abord qui sont.ces Rroms de France qui résistent, à quoi, contre quoi et comment.
- Political Geography:
- France