1361. Vers L'intégration De L'approche Genre Dans La Prévention Et La Gestion De L'insécurité Alimentaire
- Author:
- Imane El Rhomri
- Publication Date:
- 04-2015
- Content Type:
- Policy Brief
- Institution:
- Oxfam Publishing
- Abstract:
- Malgré l‟abondance de la production alimentaire mondiale, les populations du Sahel et de l‟Afrique de l‟Ouest souffrent fréquemment de faim et de malnutrition. En 2012, tous les pays de la région ont été de nouveau exposés à une insécurité alimentaire massive, en raison de la sécheresse, des pluies rares, des piètres récoltes, de la flambée des prix des aliments et des déplacements intensifs de populations. Selon les estimations des Nations Unies, cette crise avait condamné plus de 18 millions de personnes à l‟insécurité alimentaire et nutritionnelle (FAO, 2012 : 9). Comprendre pourquoi les populations souffrent d‟insécurité alimentaire et analyser les causes sous-jacentes est fondamental pour planifier des interventions appropriées. Dans la pratique, la mesure et l‟analyse de la sécurité alimentaire présente un défi technique en raison de la complexité et de la multi-dimensionnalité de ce concept. Actuellement, l‟analyse de la sécurité alimentaire en situations d‟urgence repose sur trois piliers: i) les disponibilités alimentaires, ii) l‟accès à l‟alimentation et iii) l‟utilisation des aliments (PAM, 2009). L‟Approche de l‟Economie des Ménages (AEM/HEA), développée dans les années 90 par l‟ONG internationale Save the Children-UK, est actuellement l‟un des outils les plus utilisés par le système d‟alerte précoce dans la région du Sahel1 pour appréhender le pilier d‟accès. En partant du principe que les ménages ont un accès plus ou moins difficile aux aliments en fonction de leur niveau de pauvreté, cet outil cherche à comprendre leur économie alimentaire et à mesurer l‟impact des chocs sur celle-ci, en vue d‟orienter l‟aide vers ceux qui seraient les plus vulnérables. Seulement, le HEA, ne s‟intéresse pas à la situation spécifique de chaque individu à l‟intérieur du ménage, étant donc incapable d'analyser la manière dont les chocs touchent les femmes et les hommes et comment chacun d'entre eux essaie d‟y faire face. Cette lacune représente l‟une des grandes faiblesses de ce système puisqu‟il néglige une dimension clé dans la compréhension de « qui, aujourd‟hui, risque le plus d‟être exposé à l‟insécurité alimentaire et à la malnutrition au Sahel et pourquoi » -pour reprendre les termes de la brochure du projet HEA-SAHEL-. Ce rapport, structuré en trois parties, est le résultat d‟une étude lancée par Oxfam Intermón, dans le cadre du projet de recherche SARAO (Sécurité Alimentaire et Résilience en Afrique de l‟Ouest), qui cherche à apporter des réflexions critiques et des pistes d‟action pour perfectionner le cadre d‟analyse HEA grâce à une démarche qui tient compte des Inégalités de Genre. La première partie du rapport est consacrée à l‟approche méthodologique adoptée et aux techniques employées pour la collecte et l‟analyse de l‟information. D‟un côté, l‟analyse Genre a été au cœur de la démarche suivie et a consisté à examiner de nouvelles dimensions telles que la répartition et l'organisation des rôles, des responsabilités et des ressources entre les femmes et les hommes afin de mettre en lumière leur importance dans l‟analyse de la sécurité alimentaire. De l‟autre côté, la collecte des informations sur le terrain s‟est faite au Burkina Faso, à travers des entretiens semi-dirigés et des questionnaires auprès de profils différents, en fonction de l‟objectif recherché dans chaque étape de l‟étude. La deuxième partie du rapport entre dans le vif du sujet. Elle examine avec une approche Genre le cadre théorique et analytique du HEA pour montrer ses limites. Tout d‟abord, sur le plan théorique, trois limites sont signalées : L‟analyse de l‟insécurité alimentaire à l‟échelle du ménage n‟est pas suffisante pour cerner toutes ses causes, principalement parce qu‟il n‟est pas possible de dévoiler le fonctionnement interne des familles (les statuts, rôles, contribution et capacités des personnes y appartenant), ni les relations de pouvoir et les inégalités entre ses membres, en particulier entre les femmes et les hommes, les filles et les garçons. a) En l‟absence de la moindre analyse de Genre au niveau des ménages, notamment ceux dirigés par des hommes, l‟approche HEA rend invisible le rôle des femmes qui assument de plus en plus de responsabilités dans la gestion de la sécurité alimentaire alors que, paradoxalement, elles ont un accès précaire aux ressources et sont exclues du contrôle de quasiment toutes, en particulier des ressources productives. A titre d‟exemple, cette étude confirme qu‟au-delà d‟assumer tout le travail domestique, les femmes participent très activement à l‟agriculture familiale, cependant, elles sont exclues de la propriété de la terre, de la prise de décisions concernant la production et la gestion des stocks, ainsi que du travail rémunéré en tant que main d‟œuvre salariée. b) La richesse et la multi-dimensionnalité des concepts de Moyens d‟Existence Durables (MED), de Pauvreté et de Vulnérabilité se retrouvent fortement réduites dans l‟approche HEA. D‟une part, les apports de la théorie des MED, notamment, les concepts de capacités et de biens intangibles ne sont pas du tout exploités par l‟approche HEA. D‟autre part, cette dernière appréhende le niveau de pauvreté et de vulnérabilité d‟une manière très superficielle parce qu'elle ne va pas au-delà des aspects productifs et monétaires et ne prête aucune attention aux dimensions spécifiques qui expliquent la pauvreté et la vulnérabilité féminine, pas seulement en termes de revenu, mais aussi en termes de temps, de liberté ou de pouvoir décisionnel. c) Ensuite, sur le plan méthodologique, l‟étude révèle que les informations et données produites dans chaque étape du cadre d‟analyse HEA, servant à rétro-alimenter le système, sont complètement aveugles au Genre. Cette lacune est due, d‟une part, à la non-désagrégation par sexe des informations collectées par les méthodes et outils HEA et, d‟autre part, à la sous-représentation des femmes en tant qu‟objet et sujet d'étude. Ces limites techniques perpétuent une image incomplète de la réalité et relèguent les femmes et leurs apports à une zone d'ombre. La troisième et dernière partie représente la plus grande valeur ajoutée de cette étude dans la mesure où elle expose des propositions concrètes pour enrichir progressivement le système HEA. Le premier pas suggère principalement la désagrégation par sexe des informations actuellement collectées et analysées par le HEA ainsi que l‟introduction de nouvelles variables et indicateurs sensibles au Genre. Le deuxième pas, plus audacieux, invite à l‟adoption d‟un nouveau cadre d‟analyse pour caractériser la vulnérabilité alimentaire de manière intégrale. Ce nouveau cadre propose essentiellement trois critères à évaluer, en fonction du contexte spatio- temporel d‟exposition au risque d‟insécurité alimentaire. Ces critères sont : i) les besoins alimentaires spécifiques (dépendent du sexe, âge, état de santé, efforts physiques…) ; ii) l‟accès aux différents MED (dépend de la disponibilité et la qualité du capital naturel, humain, physique, financier et social) et iii) les capacités individuelles d‟exploiter les différents MED (dépendent du statut social, des conditions d‟utilisation, des modes d‟accès et du pouvoir décisionnel). Enfin, le troisième pas requiert logiquement l‟adaptation des méthodes de collecte et de traitement des informations à ce nouveau cadre d‟analyse.