1. Les conséquences humaines de l'échange transnational des données individuelles
- Author:
- Pierre Piazza and Didio Bigo
- Publication Date:
- 05-2014
- Content Type:
- Journal Article
- Journal:
- Cultures & Conflits
- Institution:
- Cultures & Conflits
- Abstract:
- A l'échelon transnational, le partage d'informations sur des personnes s'accélère et s'amplifie. Présenté comme un indispensable impératif pour faire face efficacement à des risques et des menaces susceptibles de saper les fondements de la démocratie (terrorisme, criminalité organisée, immigration illégale, fraudes, etc.), cet échange emprunte une multitude de canaux communicationnels et institutionnels, et utilise des dispositifs technologiques de traçabilité et d'anticipation. L'interconnexion observable entre bases de données contenant des informations personnelles ou des profils anonymisés, et servant à élaborer des listes d'individus à surveiller, s'opère normalement à travers des circuits officiels de justice criminelle, de contrôle des frontières et de surveillance des flux de capitaux. Mais au nom de la lutte antiterroriste et du renseignement préventif, les règles de contrôle – judiciaires ou parlementaires – qui les régissent ont été assouplies et on a vu se multiplier les canaux officieux entre acteurs du renseignement. Ce phénomène se constate à l'échelle locale et régionale avec les croisements de fichiers, ou tout simplement viales rencontres entre personnels venant des services de police, des services sociaux ou des mairies ; à l'échelle nationale avec l'intégrations de fichiers relevant de services de police et d'immigration différents ; à l'échelle européenne avec les bases de données Eurodac ou Europol ; à l'échelle transatlantique avec des échanges formels et informels accélérant la circulation des informations ; à l'échelle internationale, enfin, avec la participation de régimes non démocratiques 4. La croyance en une possible prévention des comportements humains agressifs via une information à la fois totale, ciblée et en temps réel, a amené à faire confiance à des technologies qui prétendent pouvoir combattre l'incertitude en anticipant le pire des futurs et en le corrigeant avant qu'il n'advienne. La liste des technologies et surtout leur mise en réseau est maintenant considérable et nous n'en connaissons au quotidien que quelques rares éléments : Passengers Name Records dans les aéroports, visas d'entrée et de sortie électronique, passeports avec identifiants biométriques dynamiques, blocage de cartes de crédit à l'étranger, etc. Pourtant, la panoplie s'étend de la surveillance des conversations jusqu'aux drones visant à tuer à distance, en passant par des reconfigurations des états psychologiques de consommation et de citoyenneté 5. Sans même parler des pratiques illégales qui ont accompagné cette recherche d'information tout azimut – attribuées le plus souvent à des agents trop zélés – la logique même qui sous-tend le système est problématique au regard des libertés publiques. En effet, ces échanges de données à l'échelle transnationale ont eu tendance à décontextualiser les informations, à les agréger de manière parfois erronée, et à créer des erreurs de jugement entraînant des conséquences humaines graves pour les individus qui en sont victimes.